Mon visage

Mon visage est une catastrophe nucléaire.

Trois ans que je suis le dossier médical de mon père.
Ca me réussit pas. J'ai tout répertorié pour la gonzesse, la tuteur.
Trois ans que je le vois décrépir en direct live.
J'ai tout lu, j'ai tout vu, mon père au scan.

Je sais la taille de ses deux reins, au millimètre près, je sais sa stéatose hépatique, je sais l'état de son coeur, de sa prostate. Mon père, je l'ai criblé et ça me fait drôle d'être ainsi entrée dans son organisme.

Dans l'intimité de son corps.

J'en peux plus, j'suis exténuée. J'ai 47 balais, lui, 85. Je l'adore, je l'aime à la folie mais je souhaite qu'il parte.
Ce sera pire encore.

Y'a pas de solution. Juste pleurer.

Je m'esquinte le visage, ça va s'arrêter quand ?

C'est dur à dire, mais il faut le dire.
Les vieux qui trainent ainsi bloquent leur famille, les jeunes.
Trois ans que je souffre à cause de sa maladie. Je souffre parce que je l'aime et au final, ma famille (les descendants) souffrent aussi.

On ne sait plus quoi faire.

Privilégier les vieux ? Privilégier les jeunes ? On ne sait plus.

J'adore mon père, et j'adore mes enfants. J'suis au milieu, j'fais quoi ?
Du temps, oui, j'en dispose, puisque je ne travaille pas. Mais j'écris mon seizième roman et mon julot sonne à ma porte. Du coup, le vioc, il a plus qu'à mourir, en somme.

C'est innommable. Je m'y fais pas.

Je file à la piscine, quelques brassées avec Marie.

L'avenir est là : mes fils, ma fille, foin du passé, là ça suffit.

Je ne peux plus rien pour lui. Cause perdue, il est perdu, pas envie de m'y perdre aussi.

Chacun sa merde, il a mal managé, mon père, et retour de baton, on l'adore, nous, ses trois enfants, on fait ce qu'on peut pour lui faire une belle fin de vie.
Mais ma mère, mauvais choix. Hihi.

Bientôt cinquante ans qu'ils sont mariés.
Elle l'aime, cette conne.

Quelle conne !