Bécassine dans le train

J'suis une fille très peureuse, je flippe à propos de tout.

Mais ça peut s'expliquer, parce que plus jeune, très frondeuse, il m'est arrivé des histoires pas banales, limite terrorisantes.

Aujourd'hui, je dois prendre le train pour rejoindre mon fiancé dans le midi. Il a loué un bungalow avec piscine pour nous y recevoir dix jours, ma fille et moi.

Or il se trouve que j'ai peur du train.
Une peur farouche.
Depuis quand ?
Depuis 1997, avant, je le prenais volontiers, mais jamais de nuit, enfin si, mais je déteste les couchettes, j'étouffe dedans.
Comme sous les UV, j'ai l'impression d'être allongée vivante dans un tombeau.
Comme sous les UV modernes, climatisés, y'a du boucan, vroum vroum, impossible de fermer l'oeil.

En octobre 1997, l'un de mes meilleurs amis m'a invitée à fêter son anniv (40 ans) à la campagne. Parmain, son bled s'appelait. Une vingtaine ou trentaine de bornes de Paris.
Chiche, j'dis, mais à deux conditions :
Primo, j'emmène ma fille, alors âgée d'un an,
Secundo, on reste y dormir, pas envie de rentrer en pleine nuit.

OK ça roule, je m'informe et me retrouve dans une gare direction grande banlieue.
A 18 heures. Vêtue sexy : minijupe et cuissardes puisque je me rendais à une fête.
Donc c'est ma faute, il fallait pas les allumer.

Ma fille sur les genoux, j'attends que le train se pointe.
C'est alors que trois caillera sont venus nous entourer.

Des d'jeuns (j'avais 36 ans à l'époque), eux, moins de vingt, à vue de pif.
Mais des balaises, biscotos et tatouages et un vocabulaire bien de chez nous :
"Vise donc la meuf ! De la bonne came !"
"Scuse me, t'as pas une clop ?"

Et voilà qu'on était encerclées, ma fille et moi.

Je me suis mise à flipper grave, mais j'ai pensé :
"Allons, allons, te fais pas de film, t'as une gamine sur toi, ils oseront pas... Et tu pourrais être leur mère".

J'ai donc sorti mon paquet de Marl et régalé le lot.

Vive Marlboro !

Mais ils m'ont pas lâchée et sont même montés dans le même train que moi, dans le même wagon que moi et se sont assis à côté de moi.

Les trois.

Plus d'une heure de supplice, j'ai enduré.

Ils se parlaient, me frottaient :
"Elle est bonne, hein ?"
"Et ses nibards, tu crois qui s'tiennent ? Ah AH AH, tu crois que si on lui demande, elle nous les montre ?"
"Faut pas s'fringuer comme ça dans un train de grande banlieue, tu connais pas la vie, ma poule ?"
"Ouais, c'est une pute... Tu crois que si on lui demande, elle va montrer son cul ?"
"Ben si elle refuse, on balance sa gamine par la fenêtre".

Plus d'une heure de supplice et je n'ai plus jamais repris le train seule.

Très angoissant, la nuit tombait, je me disais : "Vont bien descendre quelque part".
Zen, zen, Cathy, respire.

Aucun passager n'a réagi.

Je n'ai pas réagi non plus. Ca bouillonnait à l'intérieur, mais j'avais peur.

Clouée de terreur.

Alors, je prends le train aujourd'hui, comme convenu depuis dix jours, on décolle à seize heures, Marie-Charlotte et moi, mais
accompagnées de Mat, 21 ans, mon fils aîné, costaud.

Sinon, j'aurais pas pu.

Il restera trois jours dans le bungalow, avec nous, j'suis contente, avant de poursuivre ses vacances ailleurs (Grèce).

Sinon, je pouvais pas.

Les gares, les trains, je n'en veux plus sans un garçon à mes côtés.